La Liberté

Evo en sa nouvelle tour d’ivoire

Evo en sa nouvelle tour d’ivoire
Evo en sa nouvelle tour d’ivoire


Louis Ruffieux

Publié le 09.11.2019

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Opinion » Mauvaise pioche que de brancher le chauffeur de la voiture sur la prochaine élection présidentielle. La route descendant de Potosi (4000 m d’altitude) vers Sucre est sinueuse, l’homme s’emporte et, plus ennuyeux pour ses passagers, retire ses mains du volant pour tempêter contre le président Evo Morales… En Bolivie, quelques semaines avant le scrutin du 20 octobre dernier, ils étaient nombreux à en imaginer le scénario: «Il gagnera de nouveau en truquant les résultats.» Depuis, le pays compte ses morts et ses blessés lors de violentes manifestations.

Aux «EVO SI» peints au bord des routes répondent les «EVO NO» des gens de la rue. «Treize ans, ça suffit!» En 2016, les Boliviens ont refusé en votation qu’il puisse briguer un quatrième mandat. Vote annulé. Le coup de force de Morales passe mal. L’enthousiasme né en 2006 de l’élection de ce modeste Amérindien sans formation, puis de ses premiers succès (régression de la pauvreté, redistribution des terres), a fait place au désamour croissant de citoyens qui l’accusent de corruption et de confiscation du pouvoir. Dérive autoritaire classique, qui n’épargne pas les héros du socialisme internationaliste: Morales appartient à cette lignée de chefs d’Etat sud-américains considérés, en Europe, comme des sources d’inspiration par Mélenchon et ses amis des gauches radicales.

S’éloigner du peuple, le regarder de haut… Au cœur de la capitale, La Paz, cuvette naturelle tapissée de deux millions d’habitants et striée de téléphériques neufs, Morales s’est offert l’an dernier un nouveau palais. Plus haute que le plafond légal, cette tour de 120 m toise la cathédrale et le parlement voisins. Le président y jouit d’une vaste suite que la vox populi décrit en lieu d’un pouvoir qui autorise tous les plaisirs… Cette tour a coûté très cher, «le prix d’un bel hôpital qui manque», dit-on. Ingratitude! Morales n’a-t-il pas baptisé son chez-lui «La Grande maison du peuple»? Le peuple peut d’ailleurs parfois y pénétrer, deux heures le samedi matin. Il faut montrer patte blanche et filer droit pour ne voir, des 29 étages, que le hall d’entrée, une petite galerie d’art ainsi que le toit et son héliport, vue circulaire sur l’époustouflante ville qui accroche ses maisons ocre à la roche, entre 3600 et 4100 mètres d’altitude.

Son ami Hugo Chavez avait imposé un demi-tour au cheval figurant sur le drapeau vénézuélien, afin qu’il galope… vers la gauche. Morales a enchéri dans le symbole politique et anticolonial: sur la façade du parlement, les aiguilles de l’horloge tournent de droite à gauche, et les chiffres sont inversés. Pied de nez aux usages imposés par le Nord au Sud! Cette révolutionnaire remise à l’heure des pendules semble pourtant se limiter à ce prototype.

Maître du temps et des urnes, tout occupé à vilipender les impérialistes yankees, lustrant sa statue de défenseur de l’environnement pendant que la jungle de la région de Santa Cruz disparaît à vue d’œil, Evo Morales trône en sa tour d’ivoire, qu’il quitte volontiers par les airs. Sur le toit du palais, la guide chuchote: «C’est l’Inca. Il ne touche plus terre…»


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