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L’apprenti aurait aussi son bachelor

L’apprentissage souffre d’un manque de reconnaissance à l’étranger. La Confédération veut y remédier

L’apprentissage pourrait à l’avenir permettre l’obtention d’un «bachelor professionnel». © Keystone-archives
L’apprentissage pourrait à l’avenir permettre l’obtention d’un «bachelor professionnel». © Keystone-archives

Isobel Leybold-Johnson, Swissinfo

Publié le 22.07.2021

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Diplômes » Le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) envisage de rebaptiser les diplômes professionnels supérieurs suisses afin d’augmenter leur valeur sur le marché du travail international, a rapporté la SonntagsZeitung le 20 juin. La création de deux titres, «bachelor professionnel» et «master professionnel», est en discussion.

Le SEFRI a lancé un projet spécial pour mener «un examen global du positionnement actuel des hautes écoles et de leurs programmes de formation, aux niveaux national et international», nous a-t-il confirmé. L’objectif est de savoir si des diplômes tels qu’un bachelor et un master professionnels, qui seraient obtenus dans une haute école plutôt qu’à l’université, seraient viables sur la scène internationale.

Suisses désavantagés

L’impulsion est venue de l’Allemagne voisine, qui dispose aussi d’un système d’apprentissage solide. Début 2020, elle a mis en place un bachelor professionnel et un master professionnel. En Suisse, plusieurs motions déposées au parlement font valoir que les Suisses sont désavantagés, au niveau international, mais aussi dans le pays, faute de titres reconnus.

La dernière en date, déposée par le socialiste Matthias Aebischer, demande spécifiquement au gouvernement de se pencher sur des noms de diplômes «modernes, qui montrent clairement qu’ils sont équivalents à d’autres diplômes délivrés en Suisse et à l’étranger et de même niveau (par exemple «bachelor professionnel» ou «master professionnel»).»

Pourquoi envisager un tel changement? La réponse réside dans la manière dont le système éducatif suisse est organisé. Environ deux tiers des jeunes qui quittent l’école en Suisse suivent un enseignement professionnel: le plus souvent, il s’agit d’un apprentissage consistant en une formation en entreprise combinée à une école professionnelle. Après deux à quatre ans, ils obtiennent leur diplôme et accèdent directement au marché du travail. Le chômage des jeunes en Suisse est assez faible (environ 8% en 2020) par rapport aux autres pays développés.

Il existe ensuite plusieurs voies pour poursuivre leur formation: la maturité professionnelle permet aux étudiants de préparer un bachelor classique dans une haute école spécialisée (HES). Un examen supplémentaire est requis pour rejoindre l’enseignement universitaire.

Les jeunes peuvent approfondir leurs connaissances professionnelles et leurs compétences managériales en passant par des écoles supérieures et des diplômes fédéraux. L’objectif est de former une main-d’œuvre très qualifiée dans des domaines tels que l’ingénierie, la santé, l’administration et les services touristiques. Environ un quart des jeunes qui ont fait un apprentissage suivent cette voie. Ces écoles ne sont pas officiellement reconnues par les autorités, mais les 430 diplômes qu’elles proposent le sont.

Reconnaissance à obtenir

La spécificité même du système éducatif suisse est à l’origine des changements envisagés. Dans certains secteurs, comme les technologies informatiques ou les soins infirmiers, l’obtention d’une qualification supérieure est bien établie, mais la reconnaissance pose problème, comme le souligne Matthias Aebischer dans sa motion.

Urs Gassmann, directeur général de l’Association suisse des diplômés des écoles supérieures (ODEC), l’explique ainsi: «Une personne formée en ingénierie des machines en Suisse, qui part à l’étranger pour construire une machine ou diriger un projet, se heurte souvent au problème que son diplôme fédéral avancé ne signifie rien pour les anglophones.» Il ajoute que cela peut aussi se produire au sein d’entreprises internationales ou de chaînes hôtelières en Suisse, qui sont plus habituées au bachelor, voire l’exigent pour embaucher.

C’est pourquoi l’association a lancé le «Professional Bachelor ODEC» pour ses membres, en 2006 déjà. Elle prévoyait que l’ensemble du secteur tertiaire s’orienterait à terme vers des bachelors, des masters et des PhD (doctorats). L’ODEC serait aussi favorable à l’introduction d’un bachelor professionnel au niveau national.

Les universités ne sont toutefois pas convaincues par la motion de Matthias Aebischer. Swissuniversities, l’organisation faîtière du secteur, a déclaré à la RTS que «les titres de bachelor et de master sont réservés au monde académique» et que les «étendre à d’autres types d’enseignement serait source de confusion».

Le Conseil fédéral s’est aussi prononcé contre la motion Aebischer. Il met en avant les efforts déjà entrepris pour clarifier l’enseignement tertiaire professionnel – il existe désormais, par exemple, des traductions anglaises officielles pour certains titres – et les travaux actuels du SEFRI.

Pendant longtemps, la position officielle de la Suisse a consisté à dire que la force de l’enseignement supérieur professionnel helvétique résidait dans le fait d’être une voie en soi, avec ses propres atouts, indique Jürg Schweri, professeur à l’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP).

Son avis était que des dénominations de type universitaire pourraient créer davantage de confusion entre les différentes voies et les différents diplômes au lieu de les clarifier, et qu’elles pourraient donner l’impression de «déclasser» les diplômes existants, qui sont bien acceptés en Suisse dans de nombreux domaines professionnels. De plus, ces nouveaux titres ne seraient pas perçus de la même manière qu’un bachelor et un master universitaires.

La motion Aebischer, déposée l’année dernière, doit encore être débattue par le Conseil national. Le rapport du SEFRI sur les hautes écoles suisses et leurs diplômes est quant à lui attendu pour fin 2021.

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