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La BNS relève son taux directeur: quel impact pour les consommateurs?

Inflation, immobilier et épargne: les conséquences de la politique monétaire de la Banque nationale suisse sont multiples. Décryptage en quatre points

Malgré la hausse des taux d’intérêt, les prix de l’immobilier ne devraient pas baisser dans l’immédiat, car la demande reste forte. © Keystone/photo prétexte
Malgré la hausse des taux d’intérêt, les prix de l’immobilier ne devraient pas baisser dans l’immédiat, car la demande reste forte. © Keystone/photo prétexte

Maude Bonvin

Publié le 15.12.2022

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Renchérissement » La Banque nationale suisse (BNS) poursuit sa lutte contre l’inflation. Elle a relevé ce jeudi son taux directeur de 50 points de base à 1%, après deux premières hausses de 50 points en juin et 75 points en septembre. L’objectif de la banque centrale? Ramener le renchérissement à 2%. Pour Charles Wyplosz, de l’Observatoire de la BNS, l’institut d’émission devait d’agir. «Il se met ainsi en ligne avec les autres grandes banques centrales», déclare-t-il. Décryptage en quatre points.

 

1. Protéger le pouvoir d’achat à long terme

S’attaquer à l’inflation permet de préserver le pouvoir d’achat. En novembre, le renchérissement a atteint 3%, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). D’après Comparis, les prix des biens de consommation courante ont augmenté de 3,2% le mois dernier. Le tarif du chauffage (gaz, mazout et bois) a ainsi progressé de près de 50% en novembre sur un an. Au niveau des produits alimentaires, l’alcool, la margarine et les huiles ont enregistré les plus fortes hausses de prix.

Par rapport aux pays européens, le renchérissement reste toutefois modéré en Suisse. Dans la zone euro, l’inflation s’est fixée à 10% en novembre. Pour le directeur des investissements auprès de la banque Bonhôte Julien Staehli, le franc fort permet de contenir l’inflation importée. «Il ne justifie donc pas une réaction trop agressive de la BNS», estime-t-il. Sans l’appréciation de la monnaie helvétique, la hausse des prix se situerait au-dessus de 4%.

La situation de quasi plein-emploi, avec un taux de chômage à 2%, pourrait cependant générer une spirale inflationniste, d’après Julien Staehli. Une enquête d’UBS publiée début novembre anticipe une hausse moyenne des salaires de 2,2% en 2023. Dans l’informatique, les télécommunications, l’horlogerie et la restauration, on attend des augmentations de 3%, contre 2% dans la métallurgie, le textile et les médias. La BNS prévoit un renchérissement de 2,4% l’année prochaine.

 

2. Préserver les finances cantonales

Le taux de change est un autre instrument pour lutter contre la hausse généralisée des prix. Ces dernières semaines, la banque centrale est intervenue sur le marché des changes. Charles Wyplosz déplore toutefois son manque de communication en la matière. «La BNS se dit prête à agir autant que nécessaire. C’est une porte à peine entre-ouverte», estime-t-il.

Depuis l’envolée de l’inflation, l’institut d’émission cherche à renforcer le franc pour limiter la hausse des prix en Suisse. En septembre et octobre, il aurait vendu l’équivalent de 17 milliards de francs de devises étrangères. Credit Suisse imagine que ce mouvement s’est poursuivi ces dernières semaines.

«La BNS se dit prête à agir autant que nécessaire. C’est une porte à peine entre-ouverte»
Charles Wyplosz

Cette stratégie s’avère aussi bénéfique pour les collectivités publiques, puisqu’elle permet à la BNS d’être moins exposée aux pertes de placement qui se sont élevées à plus de 140 milliards entre janvier et septembre. Conséquence: cantons et Confédération ne devraient rien recevoir. En 2021, l’institution a reversé le maximum possible, soit 6 milliards de francs, pour un tiers à la Confédération et deux tiers aux cantons.

 

3. Modérer la flambée des prix immobiliers

En ce qui concerne l’immobilier, l’économiste de Raiffeisen Suisse, Michel Fleury, considère que la décision de la BNS entraînera une hausse à environ 2% du taux d’intérêt Saron. Pour les hypothèques fixes à 10 ans, elle n’aura pas un immense impact, car le marché a déjà anticipé le mouvement de la banque centrale. Cette année, les taux d’intérêt sur 10 ans ont progressé d’environ 1,5 point de pourcentage. Ils ont oscillé entre 1,15% et 3,25%, d’après Comparis.

Michel Fleury n’anticipe néanmoins pas de crise immobilière. «Les propriétaires ont la capacité financière d’absorber la récente hausse des taux d’intérêt. Les banques doivent utiliser un taux d’intérêt calculatoire d’environ 5% pour les financements», précise-t-il. S’il observe une contraction de la demande, il n’entrevoit pas d’écroulement des prix. «A moyen terme, les prix vont même continuer à augmenter, de manière certes un peu moins forte que ces dernières années. Les biens immobiliers restent rares», poursuit-il.

«A moyen terme, les prix vont continuer à augmenter»
Michel Fleury

«Nombre de promoteurs ont cessé de construire après la crise financière de 2008, alors que la croissance démographique s’est poursuivie. Le taux de vacance des appartements à Genève et Zurich s’avère inférieur à 1%», abonde Stéphane Monier, responsable des investissements chez Lombard Odier. Pour Vaud et Fribourg, ce pourcentage s’élève à 1,1% et 1,8%.

Les locataires risquent, eux, de passer à la caisse, dès le milieu de l’année prochaine, avec la hausse du taux d’intérêt de référence. Il est actuellement fixé à 1,25%.

 

4. Meilleure rétribution de l’épargne

Les épargnants sont finalement les grands gagnants de ce tour de vis monétaire. Plusieurs banques, comme WIR, ont annoncé ce jeudi relever les taux d’intérêt de leurs produits d’épargne et de prévoyance. «Nous n’excluons pas de procéder à d’autres augmentations, selon les évolutions à venir», indique le directeur de WIR, Bruno Stiegeler, dans un communiqué. Le taux d’intérêt maximal de la banque coopérative passera de 0,6% à 1,2%.

 

Retour à la normale en 2024

La hausse des taux n’est pas près de s’arrêter l’année prochaine, selon les économistes.

Selon le responsable des investissements auprès de la banque Bonhôte Julien Staehli, la BNS devrait poursuivre ses hausses de taux qui devraient culminer à 1,75 voire 2% d’ici au milieu de 2023. Maxime Botteron, économiste chez Credit Suisse, anticipe une augmentation d’au moins 25 points de base en mars prochain. UBS prévoit, elle, une hausse de 50 points. «Il est trop tôt pour baisser la garde», a de son côté averti le président de l’institution, Thomas Jordan.

Toutes les banques centrales réagissent à l’inflation. «La BNS n’a pas d’autre choix que d’assurer la stabilité des prix. Elle devait réagir ce jeudi et continuera à le faire en début d’année prochaine», ajoute Maxime Botteron.

Si le renchérissement et la conjoncture ralentissent nettement au cours du premier semestre 2023, la banque centrale devrait renoncer à de nouvelles hausses de taux pour le reste de l’année. «Dès juin, elle aura moins de raisons de relever son taux directeur ou tout du moins avec une fréquence un peu moindre», prédit Maxime Botteron. Selon l’expert, le pic de l’inflation a été atteint en août déjà, à 3,5%. Une baisse de taux est quant à elle attendue par UBS pour 2024.

Pour l’économiste de Credit Suisse, l’institut d’émission se trouve toutefois moins sous pression que d’autres en Europe du fait d’une inflation nettement moins élevée. La Banque centrale européenne (BCE) a relevé ce jeudi son taux de 0,50 point de pourcentage. Et elle affiche toujours sa détermination à combattre la hausse des prix, qui ne devrait pas reculer aussi vite qu’attendu.

Reste qu’ailleurs dans le monde, la situation se détend. Aux Etats-Unis, le président de la réserve fédérale (Fed), Jerome Powell, s’est montré ouvert à un nouveau ralentissement du rythme dans les mois à venir, notant qu’un resserrement très important a déjà été réalisé. Mercredi, la banque centrale américaine a également relevé son principal taux directeur d’un demi-point de pourcentage. MBO

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